AURAL

GANZFELD “AURAL” An Installation by James Turrell

Dans la grisaille de Berlin, je me dirige vers le Musée juif où j’allais vivre une expérience unique… J’ai souvent entendu parler de l’œuvre de James Turrell. De nombreux amis m’avaient prévenu de la qualité de cette oeuvre. J’avais vu des photos dans des catalogues de rétrospective et, déjà, mon oeil avait été attiré par ces prises de vues dominées par le contraste entre les bâtiments et le ciel. À mon arrivée à Berlin, j’étais tout euphorique à l’idée d’enfin pouvoir voir une installation de l’américain. L’installation se trouve dans le jardin du Musée juif de Berlin. Au fond d’un long couloir vitré on peut distinguer un «Black Cube » où est inscrit, en lettres blanches, James Turrell. Une fois à l’intérieur, on accède à une première pièce où des consignes sont données par une personne, qui nous explique que, bien évidemment, toutes photos et vidéos sont interdites et qu’il faudra, pour pénétrer dans l’installation, ôter nos chaussures et nous munir de chaussettes qui sont mises à disposition du public… 

C’est dans une succursale que nous nous retrouvons ensuite ; face à nous, un escalier qui donne sur l’entrée de l’installation. Le temps d’ôter mes chaussures et d’enfiler des chaussettes, je regarde face à moi ce carré qu’il me tarde d’approcher… de traverser. Mes chaussettes grises aux pieds, je suis enfin prêt à vivre l’expérience. L’impatience et l’excitation m’envahissent, je ne me rends pas compte que la pièce dans laquelle je me trouve fait partie intégrante de l’installation. Je monte les marches et le carré passé, je me retrouve dans une pièce totalement blanche, face à moi une forte luminosité. Je ne sais pas quoi faire. Je commence à scruter les murs, devant, derrière, et je ne comprends pas ce qu’il peut se passer. C’est donc ça James Turrell ?

Un écran projetant de la couleur blanche où pendant cinq minutes il ne se passe quasiment rien? C’est à ce moment-là qu’une dame, chargée de vérifier le bon fonctionnement des installations de la pièce et le respect des règles, nous demande de nous rapprocher de ce qui me semblait être un écran. Une fois très proche de cet espace, un bip retentit. Je suis face à ce que je croyais être un écran, mais à ce moment là, lorsque je décide discrètement de toucher celui ci, ma main s’enfonce, c’est le vide. Il n’y a pas d’écran, ni de lampe, il n’y a rien de perceptible, il s’agit simplement d’un immense vide rempli de lumière. La magie de la pièce commence à interpeller le spectateur que je suis.

«C’est comme si nous étions directement dans la couleur»

Quelques instants plus tard, la lumière commence à changer vers une évolution de couleurs. Je me trouve entre une projection derrière moi et une projection frontale. On ne sait pas d’où vient la couleur. C’est comme si nous étions directement dans la couleur, et cela me replonge instantanément dans l’univers d’un livre que j’ai lu « l’homme qui marchait dans la couleur » de Georges Didi-Huberman. J’ai la sensation que nous sommes plongés littéralement dans la couleur, comme si nous étions dans ce crépuscule solaire, il n’y a plus de sens, notre regard se perd et nous avons vraiment une impression de légèreté, comme suspendus. Le silence règne, les couleurs s’entremêlent, et à cet instant des flashs lumineux très vifs font leur apparition face à nous. Comme durant tout le temps passé dans cette pièce, nous ne percevons absolument pas ce que nous regardons ! L’installation de James Turrell est extrêmement spirituelle, j’ai ressenti la même sensation que lorsque l’on rentre dans des lieux sacrés, temples, églises, synagogues…

photo: Florian Holzherr

C’est comme si pour remplacer les statues représentants des divinités ou des dieux, Turrell nous proposait une lumière venue de nulle part… C’est comme si ce lieu était directement relié à quelque chose de divin.Nous sommes hypnotisés, captivés par ce spectacle que l’on regarde. C’est une expérience extrêmement singulière, je n’avais jamais ressenti une telle émotion dans un musée ou dans une galerie d’art. Je n’avais plus aucune envie de sortir de cette installation tellement j’y étais euphorique, comblé de vivre ce moment. Bien qu’à plusieurs reprises on m’avait expliqué combien cela était extraordinaire, j’étais très loin d’imaginer à quel point …

Le choc le plus violent est lorsque l’on sort de l’installation, lorsque l’on revient au monde normal. On repense alors à ce qu’on a vécu dans cette pièce. C’est une expérience unique qu’il faut vivre à tout prix et de laquelle il faut profiter au maximum car c’est un moment magique où l’esprit, l’espace et la couleur ne font plus qu’un.